Métier à la grande tire

Métier à la grande tire exposé au MHL Gadagne - © Xavier Schwebel

Métier à la grande tire, N° Inv. 428

Ce métier du 17e siècle permet de tisser les précieuses étoffes de soie qui ont fait la fortune de Lyon. C’est l’un des derniers exemplaires de ce type connu au monde.

Le métier à la grande tire apparaît à Lyon vers 1605. Il est utilisé, avec des améliorations progressives, jusqu’à l’arrivée de la mécanique du métier Jacquard au début du 19e siècle qui le remplace progressivement.

Il doit son nom aux nombreux fils, les lacs, que l’on doit tirer pour réaliser le motif du tissu. La longueur de son encordage et ses grandes dimensions (hauteur : 2m87, longueur : 3m et largeur : 1m35) et surtout la longueur du motif qu’il permet de tisser (2m25) lui valent cette appellation commune.

Au début du 17e siècle, à Lyon, l’apparition du métier à la grande tire permet la conception d’étoffes façonnées. On le surnomme vite "métier de façonné" car il permet des ouvrages subtils et de qualité, si bien qu’au début du 18e siècle, on distingue les étoffes "à la grande tire" des étoffes "courantes".
Il est un symbole du développement de la soierie lyonnaise au 17e siècle. L’organisation de cette activité est appelée Grande Fabrique. Grâce à lui, la ville assoit sa réputation sur une fabrication des plus soignées qui s’émancipe des dessins empreints de réminiscences italiennes pour donner à ses motifs une élégance et une originalité propres à la Grande Fabrique.

Les métiers à la grande tire sont utilisés à Lyon jusque dans les années 1825, où on en compte encore plusieurs dans le quartier Saint-Bonaventure et autour de la place Bellecour.

En 1900, ce métier est acquis en Italie du Nord par la "Société pour le développement du tissage", qui le présente la même année aux visiteurs de l’exposition universelle de Paris, dans l’Atelier des Tisseurs lyonnais. Déposé par cette société à l’école municipale de tissage et de broderie de Lyon, il est à nouveau présenté à l’exposition universelle de Lyon de 1914 !

C’est en juin 1921 qu’il est prêté et installé à Gadagne, et qu’il devient l’une des vedettes des expositions permanentes du musée !
En 2009, il fait l’objet d’un délicat remontage par les spécialistes de l’Association Soierie Vivante de Lyon, parmi les derniers détenteurs de ce savoir-faire.

En 2020, dans le cadre de la refonte du parcours permanent du MHL, il est de nouveau démonté par l’association et mis en traitement par anoxie pour le désinsectiser.

Depuis novembre 2022, il est visible dans la première salle de l'exposition permanente Qu'est-ce que tu fabriques ?. Remonté par les spécialistes de l’Association Soierie Vivante de Lyon, il est montré déployé pour permettre la lisibilité de son fonctionnement. Une présentation exceptionnelle qui permet de le découvrir "prêt à tisser" avant que le tisseur ne se mette au travail. Les lacs (les cordes permettant de soulever les fils de chaine) sont présentés dénoués, afin de mieux comprendre le système "à la tire".

Pour le mettre en action, le tisserand s’installe sur une banquette face au métier. Plus qu’une banquette, il s’agit d’un appui incliné à 45° et destiné à accroître la force des jambes, qui enfoncent les pédales en entraînant le levage des fils. 

Autrement dit, ce métier dit "à bras" nécessite un effort plus intense des jambes : la pression est de 20 g par fil, sachant qu’il peut y avoir jusqu’à 6 000 fils !

D’une main, il tient le battant mobile, comprenant le peigne fait de lamelles métalliques, et de l’autre, il lance la navette pour faire passer le fil de trame. Placés latéralement, les tireurs de lacs manipulent les fils de chaîne selon le programme voulu par la trame du décor. Enfin, le tisserand ramène d’un coup de main le battant vers lui, pour rabattre la trame contre les précédentes. 

L’ouvrage façonné apparaît peu à peu… un petit miroir attaché à un pied avant du métier permet au tisserand de vérifier sa qualité, même lorsque le motif est tourné vers le sol.

Le métier ne fait pas le même bruit selon qu’il tisse des unis - pa-tin-taque ! - ou des façonnés : bis-tan-claque ! 

 

Le métier à la grande tire est implanté à Lyon par Claude Dangon, ouvrier en soie lyonnais d’origine italienne. Il fait découvrir à ses concitoyens des façonnés inédits dans la ville : étoffes d’or et d’argent, taffetas comportant jusqu’à quatre couleurs ou "velours turques avec fonds de satin"… ce qui lui vaut une subvention de deux cent livres tournois du consulat et, en 1607, le titre de "maître ouvrier du roi" ! 

Les origines de la mécanique sont cependant plus anciennes. Dès le 4e siècle, se développe également au Proche-Orient un métier dont le jeu de cordes est reporté sur le côté de la machine…Du 13e siècle à la fin du 19e siècle, sont utilisés en Chine et au Japon des métiers nécessitant l’intervention de tireurs de lacs installés au-dessus du métier. 

Ce type de métier nécessite l’intervention d’un personnel important, et donc coûteux, aux côtés du tisseur. C’est pourquoi il est réservé au tissage des grands façonnés, comme ceux de la Chambre de la Reine à Versailles.

Le métier est tout d’abord préparé en fonction du tissu projeté par le monteur de métier et la remetteuse. Lors du travail proprement dit, il rend indispensable l’assistance d’un ou plusieurs tireurs de lacs - des compagnons ou, souvent, des enfants. Selon le nombre de trames à passer, ils peuvent être jusqu’à deux ou trois pour certains façonnés. Chaque maître tisseur a sa spécialité : taffetatier, satinaire, veloutier ou brochetier … Son savoir-faire permet des nuances de toucher - notamment dans la dissociation du mouvement des bras et des jambes - qui se sont perdues ensuite avec la mécanisation.
 

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